FRW 3100 Christine de Pisan.
ÃÂàla guerre civile et ÃÂétrangÃÂère, la peste, les discordes politiques et la dÃÂépression ÃÂéconomique, vient s'ajouter une profonde crise sociale, dont la rÃÂéalitÃÂé quotidienne de la femme tÃÂémoigne . Celle-ci n'existant qu'en tant qu'instrument de commerce et de procrÃÂéation, elle subit pour un moment du moins, une reprise du mÃÂépris et la domination de l'autoritÃÂé masculine. Ni le jeu aristocratique de l'amour courtois, ni le culte de Marie qui entretient l'homosexualitÃÂé, ne peuvent enrayer ce courant qui ne fait aucun cas de l'identitÃÂé fÃÂéminine. Le discours fÃÂéminin est pratiquement inexistant si ce n'est pour les " dÃÂépositions devant l'inquisiteur des villageoises de Montaillou [...] et des tÃÂémoignages lors des procÃÂès de Jeanne d'Arc (Verdon, 9)." A cet ÃÂégard, le tÃÂémoignage de Christine de Pisan en tant que femme et ÃÂécrivain est d'autant plus ÃÂévoquant, puisque s'il s'agit d'une femme privilÃÂégiÃÂée, il s'agit aussi d'une femme dont les circonstances de la vie sont imprÃÂégnÃÂées de malheurs et de souffrances tout aussi ordinaires que celles des autres femmes de l'ÃÂépoque.
Sa rÃÂéussite littÃÂéraire, Christine de Pisan la doit en partie àla bonne fortune d'ÃÂêtre la fille de Tommaso di Benvenuto da Pizzano, diplÃÂômÃÂé de l'universitÃÂé de Bologne et astrologiste àla cour de Charles V. En avance sur son temps, son pÃÂère l'incite àrecevoir une ÃÂéducation semblable àcelle des garÃÂçons, fait particuliÃÂèrement inhabituel pour une fille, mais qui constitue les prÃÂémices de sa consÃÂécration àla littÃÂérature aprÃÂès la mort de son mari et de son pÃÂère. Elle apprend ainsi les langues classiques, l'histoire, la littÃÂérature, la philosophie, la religion et ce plus ou moins àl'encontre de sa mÃÂère qui pense que ces ÃÂétudes sont futiles pour son futur. Elle les poursuit cependant jusqu'a l'age de quinze dans une atmosphÃÂère heureuse, mais aussi unique puisqu'elle cÃÂôtoie la cour de Charles V. Elle assiste àde somptueuses rÃÂéceptions et garde de ses contacts avec le roi, des souvenirs dont elle parlera dans sa vie d'adulte avec grande ÃÂéloquence. On sait de Christine de Pisan, que son mariage àl'age de quinze ans, a Etienne de Castel est un mariage comblÃÂé et satisfaisant, autre fait insolite pour les màÃÂurs de l'ÃÂépoque mais qui cependant lui procure deux avantages. Le premier lui permet de dÃÂévelopper une personnalitÃÂé saine, hardi et entreprenante. Le deuxiÃÂème avantage rÃÂésultant du premier lui donne le courage et "l'impertinence"àde s'attaquer aux propos incongrus et ignorants dont les femmes font l'objet dans le monde religieux et laÃÂïc.
Le statut de veuve qu'elle expÃÂérience dix ans aprÃÂès son mariage, la plonge dans la rÃÂéalitÃÂé cruelle de la condition fÃÂéminine qui endure plus que jamais la responsabilitÃÂé du pÃÂéchÃÂé originel, l'endettant "àtout jamais"àau bon vouloir de la gente masculine. Catherine, passe une grande partie de sa vie àse battre contre les malhonnÃÂêtetÃÂés "rÃÂéservÃÂées"àaux veuves. Elle subit les mensonges et escroqueries de la part de ses dÃÂébiteurs et de ses crÃÂéanciers, qui a chaque rÃÂéussite, la plonge dans une situation financiÃÂère un peu plus pÃÂérilleuse. "Quatre procÃÂès, quatre cours diffÃÂérentes, maÃÂître des enquÃÂêtes et maÃÂître des requÃÂêtes, procureurs et avocats, tous gens de plaids, aptes àesquiver ce que l'ÃÂéquitÃÂé commande (Pernoud, 53)"ÃÂ. Certains vont jusqu'a lui demander de payer des rentes sur les hÃÂéritages de son pÃÂère alors que rien dans les papiers de la vente originale n'en mentionnent l'obligation (Pernoud, 52). MÃÂême la cour des comptes qui est entre autres, chargÃÂé de rÃÂémunÃÂérer les notaires royaux comme son mari, prendra plus de vingt ans, et un procÃÂès de treize ans, pour lui rendre des allocations dÃÂû àson dÃÂéfunt mari (Pernoud, 49). C'est une expÃÂérience d'autant plus pÃÂénible qu'elle s'accompagne de rumeurs mettant son honneur en jeu, parce qu'il semble indÃÂécent que celle-ci passe autant de temps dans les palais de justice et qu'elle est bien sur en tant que veuve, une proie facile.
Il ne fait aucun doute, que l'amour de la poÃÂésie l'aide àsurmonter ses tourments.
Elle ÃÂécrit tout d'abord pour elle-mÃÂême, pour soulager les frustrations lÃÂégitimes qu'elle ressent. Ainsi dit-elle dans un de ces moments : HÃÂélas ! ou donc trouveront rÃÂéconfort Pauvres veuves de leurs biens dÃÂépouillÃÂées Puisqu'en France qui pu ÃÂêtre le port De leur salut, et ou les exilÃÂées Pouvaient fuir, et les dÃÂéconseillÃÂées, A ce jour ci n'y ont plus amitiÃÂé.
Les nobles gens n'en ont nulle pitiÃÂé Et n'en ont plus les clercs, ou grands ou moindres [...] (Pernoud, 60) L'ÃÂécriture devient rapidement l'instrument qui remplace la communication verbale que le cadre politique et culturel de l'ÃÂépoque ne lui reconnaÃÂît pas. A la femme de caractÃÂère, naturellement dotÃÂé d'une intelligence vive, s'ajoute un profond dÃÂésir de connaissance et de partage. Elle est non seulement poÃÂète mais aussi historienne, moraliste, publiciste et philosophe. Il faut dire qu'elle ÃÂécrit sur tout et en quantitÃÂé qui n'a rien àenvier aux plus grands ÃÂécrivains masculins du moment. Cette fÃÂéconditÃÂé s'explique en partie par le sÃÂérieux et l'engagement qu'elle dÃÂémontre envers ses ÃÂétudes littÃÂéraires. S'ÃÂétant dÃÂéjàfait remarquer pour quelques uns de ses rondeaux et ballades, elle dÃÂécide de mÃÂéthodiquement parfaire sa connaissance des classiques de l'antiquitÃÂé et du Christianisme.
"àAinsi que l'enfant se met en premier a l'a,b,c,d, je me pris aux histoires anciennes dÃÂès le commencement du monde, les histoires des Ebrieux, des Assiriens et des principes des seigneuries, procÃÂédant de l'une et de l'autre, descendant aux Romains, aux FranÃÂçois, aux Bretons[...], AprÃÂès aux dÃÂéductions des sciences, selon ce que, en l'espace du temps que j'y ÃÂétudiai, en pus comprendre[...], (Livre du chemin de longue estude).
Cet acharnement au travail est une vocation qui crÃÂée un contraste singulier avec la sociÃÂétÃÂé qui l'entoure et qui finit mÃÂême par en imposer a ses dÃÂétracteurs. Il faut dire qu'il est difficile de lui en vouloir de mettre sa plume au service des sentiments chevaleresques et chrÃÂétiens auxquels elle attache beaucoup d'importance et qui semblent ne plus ÃÂêtre a la lettre du jour bien qu'ils aient fait le renom de la France de Saint Louis. Les thÃÂèmes qu'elle aborde sont particuliÃÂèrement vertueux; ceux-la mÃÂême qui conduisent sa vie personnelle, àsavoir ; le travail, le devoir, l'ÃÂéducation, la vÃÂéritÃÂé, ou le bien public. Valeurs, essentielles a la stabilitÃÂé d'une sociÃÂétÃÂé saine et qui de ce fait l'amÃÂène a s'engager plus ouvertement. La maturitÃÂé qu'elle a acquise aux travers "des longues estudes"ÃÂ, lui donne, sans aucun doute, l'ambition d'affirmer son indignation. La premiÃÂère, dÃÂérive du "Roman de la rose"ÃÂ, et lance la premiÃÂère querelle littÃÂéraire franÃÂçaise sur l'identitÃÂé et l'image de la femme. Cette derniÃÂère y est dÃÂécrite avec vulgaritÃÂé et moquerie, et a pour dessein d'instruire des jeux d'amour qui se rapproche plus de ceux de Sade que des rÃÂègles de l'amour courtois que Catherine chÃÂérit tant. Pour elle, Jean de Meung, l'auteur incriminÃÂé,"àn'a pas su ce qu'ÃÂétait l'amour; Il en a prÃÂêchÃÂé la parodie"ÃÂ(Pernoud, 131). Ce n'est pas seulement pour les intellectuels comme Jean de Meung qu'elle ÃÂéprouve de la dÃÂéception et de la colÃÂère mais aussi àl'ÃÂégard de la noblesse qui au fil du temps a oubliÃÂé sa raison d'ÃÂêtre. Assurer la bonne contuinitÃÂé de ses intÃÂérÃÂêts personnels, parait a chacun plus important que de vivre selon les vertus chevaleresques qui secours les malheureux et protÃÂègent les faibles. En rÃÂéponse a cette misogynie, elle ÃÂécrit l'ÃÂépÃÂître du dÃÂébat sur le Roman de la Rose, l'ÃÂépÃÂître au Dieu d'amour , Le livre de la citÃÂé des dames, et quelques autres ouvrages qui eux aussi rÃÂéintÃÂègrent l'image de la femme, et offre une ligne de conduite de la plus haute moralitÃÂé.
La deuxiÃÂème source de frustration de Catherine prend naissance dans le dÃÂésordre politique et social dont elle est le tÃÂémoin depuis la mort de Charles V. AprÃÂès la mort de Philippe le Hardi, survient l'assassinat du Duc d'OrlÃÂéans, ce qui dÃÂétÃÂériore les relations entre la Maison de Bourgogne et la Famille Royale. La guerre civile ÃÂéclate et les Anglais en profite pour envahir ànouveau la France. Si Catherine ne peut influencer les ÃÂévÃÂènements, elle peut cependant les dÃÂéplorer, ce qu'elle fait dans le livre des faits d'armes et de Chevalerie. Il est aussi intÃÂéressant, de mentionner quelques analyses et recommandations, qu'elle a forgÃÂée dans le livre des trois virtues et le livre du corps de policie. Ses qualitÃÂés de visionnaire se manifestent essentiellement lorsqu'il s'agit des femmes. Pour le reste, elle est particuliÃÂèrement conservatrice. L'innovation dans le sens de changement n'est pas ce qu'elle recherche. Elle croit fermement en la monarchie, surtout celle de Charles VI. Ses recommandations s'expriment donc dans l'application du systÃÂème monarchique, a savoir la transmission des normes et valeurs, plutÃÂôt que dans l'ÃÂélaboration de celles-ci. Les rÃÂéfÃÂérences a la loi de Dieu et aux "droits et coutumes"àsont constantes, bien que l'ÃÂéglise ne reÃÂçoit aucune recommandation de pouvoir. Ses maintes corruptions, donnent a Catherine le sentiment qu'il faut la garder sous la coupe du prince, quel qu'il soit.
["æ] car non obstant que la correpcion des gens de l'eglise du tout ne lui appartiengne, toutesfoys qui sera le prelat si grant ne aultre prestre ou clerc qui osera recalciter ne murmurer contre le prince s'il le reprent de son manifeste vice et pechiÃÂé["æ] vol1,chap 7 Il aura fallu de nombreuses dÃÂécennies avant que l'on attribue àcette femme l'honneur et le respect qui lui revient pourtant de droit. Il est difficile de la dÃÂéfinir sans tomber dans l'ÃÂénumÃÂération bÃÂéate tant le personage est riche en qualities. Il n'est pas un domaine dans lequel elle n'est rÃÂévÃÂéler sa compÃÂétence comme nous venons de le voir. On est cependant, parfois tentÃÂé de lui reprocher son penchant conservateur tant il est facile d'oublier les siÃÂècles qui nous sÃÂéparent d'elle. Puis on rÃÂéalise que cet ÃÂélan moralisateur n'est pas l'expression d'une miÃÂèvrerie mais tout simplement le dÃÂésir de formuler un code de vie permettant d'assumer dans les meilleures conditions possibles ces vies dont le drame est un ÃÂélÃÂément inhÃÂérent. La comprÃÂéhension de son environment en tant que femme nous permet d'approfondir une perspective qui ne s'ÃÂétait jusqu'a ce moment de l'histoire de France affirmer. C'est d'ailleurs une de ces raisons qui a suggÃÂérÃÂé un nouvel intÃÂérÃÂêt pour Catherine de Pisan. Nous avons toujours en commun les mÃÂêmes sujets de prÃÂéoccupation tel les màÃÂurs, la politique, et l'ÃÂéducation. Il y avait chez Catherine, une conscience poignante, d'àÃÂuvrer non seulement pour ses contemporains mais aussi et surtout pour les gÃÂénÃÂérations futures. Finissons donc avec cette phrase souvent citÃÂée de Christine de Pisan et qui lui sied a merveille : " AprÃÂès ta mort viendra le prince plein de valeur et sagesse qui par la relation de tes volumes dÃÂésirera tes jours avoir ÃÂétÃÂé de son temps, et par grand dÃÂésir souhaitera t'avoir vue."ÃÂ